mai 2, 2014

Les innovations de l’ordonnance du 12 mars 2014

Pierre Martin, le directeur juridique de l’ECL a publié un article dans la semaine juridique sur les innovations de l’ordonnance du 12 mars 2014. En voici l’extrait :

 

pierre martin

Le 26 juillet 2005, le droit des entreprises en difficultés a fait l’objet d’une profonde refonte. Depuis, le législateur est intervenu à deux reprises, d’abord en 2010 puis avec l’ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014, dont les dispositions s’appliquent en principe aux procédures ouvertes à compter du 1er juillet. Ce texte conduit une nouvelle fois les praticiens et les chefs d’entreprises à assimiler de multiples articles (pas moins de 117) quitte à se lasser, voire se perdre. Ordonnances et décrets étant encore prévus pour la fin de l’année, seules les innovations importantes et acquises doivent à l’heure actuelle être retenues.

Quelle est la principale modification apportée par l’ordonnance du 12 mars 2014 ?

Il s’agit, indiscutablement, de l’instauration de deux nouvelles procédures, à savoir la sauvegarde accélérée et le rétablissement professionnel. Concernant la première, le nouvel article professionnel. Concerant la première, le nouvel article L. 628- 1, alinéa 2 du Code de commerce  prévoit  qu’une  telle procédure  ne  sera  ouverte  qu’à la  demande   de   certains   débiteurs. Les comptes doivent avoir été certifiés par un commissaire aux  comptes  ou  établis  par  un expert-comptable  ; des  comptes consolidés doivent avoir été établis  et  des  seuils  doivent  avoir été franchis (nombre de salariés, chiffre  d’affaires  ou total  de  bilan).  Surtout,  ils  devront   d’une part  être  «  engagés  dans  une procédure  de  conciliation on  » et d’autre part « justifier avoir élaboré  un projet de plan   tendant à assurer la pérennité  de /’entreprise  » .  Il convient  de  souligner  que  l’état  de  cessation des  paiements  ne  constituera pas un obstacle à l’ouverture de cette procédure si cet état n’excède pas plus de quarante-cinq jours (C. corn., art. L. 628-1, a l. 2). S’agissant de la procédure proprement dite, elle ne durera que trois mois (C. corn., art. L. 628-8) et concernera tous les créanciers soumis à l’obligation de déclaration de créances (à l’exception des salariés, des créanciers postérieurs mais non méritants) et non pas uniquement les créanciers financiers ; sauf disposition contraire, elle sera soumise aux règles de la sauvegarde. Concernant le rétablissement professionnel, il faut se référer aux nouveaux articles L.645 et s. du Code de commerce. Seul le débiteur, personne physique (à l’exclusion des EIRL, du débiteur décédé ou retiré) et qui ne sera pas en période d’observation d’une sauvegarde, d’un redressement ou en liquidation judiciaire, pourra solliciter l’ouverture de cette procédure pour une période de quatre mois contrairement à 6 mois pour une liquidation judiciaire simplifiée obligatoire (C. corn., art. L. 644-5). Il est à noter que l’existence d’une  clôture  d’une  liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif ou un rétablissement professionnel  de  moins  de  cinq ans constituera  un obstacle à cette procédure.  Le  régime  du  rétablissement professionnel est des plus simples. Les créanciers ne seront soumis à aucune restriction de leurs droits (V. toutefois, C. corn., art. L.  645-6) et n’auront pas à déclarer leur créance ; corrélativement, le débiteur ne fera pas l’objet d’un dessaisisse ment. Surtout, la clôture de cette procédure aboutira à l’effacement des dettes sans distinction  entre  dettes professionnelles ou non  contrairement au rétablissement personne l de l’article 1 L. 332-5, alinéa 2 du Code de la consommation. Mais s’il  apparaît que le débiteur n’est pas de bonne foi, le tribunal pourra convertir la procédure en liquidation  judiciaire. Le rétablissement professionnel et la sauvegarde accélérée sont-elles les seules procédures vouées à connaître un essor important ? Une  réponse  négative  semble s’imposer  lorsque l’on examine les  dispositions  concernant   la conciliation.  Tout  d’abord,  il  a été précédemment  indiqué que l’ouverture d’une conciliation sera  un  préalable  à  l’ouverte d’une procédure de sauvegarde accélérée. Ensuite, il est important de relever que le nouvel article L. 61 1-7 du Code de commerce prévoit que la mission du conciliateur, sur demande du  pus que le forma 1 1 sme sera allégé. Dans cette hypothèse, le tribunal  pourra  vraisemblablement décider de ne pas prévoir de nouveaux délais de réception des offres (V. en ce sens P.-M. le Corre, Premiers regards sur l’ordonnance du 12 mars 2014 réformant le droit des entreprises en difficulté : O. 2014, p. 733, spéc. p. 735). Les autres procédures (sauvegarde de droit commun, redressement judiciaire, liquidation judiciaire) ne devraient pas connaître un engouement particulier ; à ce sujet, le nombre de liquidations  judiciaires devrait décroître en raison des nombreux avantages du rétablisse­ ment professionnel.

 

Quels sont les apports de l’ordonnance du 12 mars 2014 qui méritent une attention particulière ?

Les modalités de la déclaration de créance et le degré de protection de la déclaration d’insaisissabilité auront, en pratique, des conséquences significatives. Selon le nouvel article L. 622-24, le créancier pourra  ratifier la déclaration de créance faite en son nom jusqu’à ce que le juge statue sur  l’admission de la créance. Le problème de la justification du pouvoir n’aura plus lieu d’être. De même, cette nouvelle disposition précise que lorsque le débiteur aura porté une créance à la connaissance du mandataire judiciaire, il sera présumé avoir agi pour le compte du créancier tant que celui-ci n’a pas adressé la déclaration. La déclaration de créance ne sera plus une demande en justice et devra être assimilée à un « acte conservatoire » (P.-M. le Corre, op. cit., p. 745). Ces articles doivent être rapprochés du nouvel article L. 622-27 du Code de commerce. En ne répondant pas dans le délai de trente jours à un courrier du mandataire judiciaire emportant contestation sur la régularité de la déclaration de créance, le créancier ne sera pas privé d’interjeter  appel de  l’ordonnance du juge commissaire confirmant le courrier du mandataire ; dans cette hypothèse, la caution risquera de ne plus pou­ vo ir  invoquer  l’article  2314  du Code civil. En revanche, le défaut de réponse du débiteur dans un délai fixé par décret en Conseil d’État lui interdira d’émettre une contestation ultérieure sur la proposition du mandataire judiciaire (C. com., art. L. 624-1, al. 2). En ce  qui concerne  la déclaration d’insaisissabilité,   l’ordonnance du 12 mars 2014 a créé un 12° au 1 de l’article L. 632-1 du Code de commerce. La déclaration  d’insaisissabilité  devient  donc  un nouveau cas de nullité de plein droit de la période suspecte (rappr. R. La ffly et P. Martin, Le de­ gré d’efficacité  de la déclaration d’insaisissabilité  : Procédures 2013, étude  12, spéc.  n° 6 et s.) . Le  liquidateur judiciaire  pourra donc par ce biais obtenir la réintégration  de   l’actif  immobilier objet  de  la déclaration d’insaisissabilité dans le gage commun des créanciers et ceci contrairement à la position adoptée par la chambre commerciale depuis le 28 juin 2011 (Cass. com., 28 juin2011,  n°  10- 15.482  :  JurisData n°2011 -012491 ; Bull. civ: 2011, IV, n° 109). En outre, il est manifeste qu’en raison de cette modification opérée par l’ordonnance, le liquidateur judiciaire aura qua­ lité et intérêt pour intenter une action paulienne sur le fondement de l’article 1167 du Code civil si la déclaration d’insaisissabilité a été effectuée hors de la période suspecte voire plus de dix-huit mois antérieurement à l’ouverture de la procédure collective. La déclaration d’insaisissabilité ne sera plus une protection sans faille ; un entrepreneur individuel, qui détournera la finalité de cette protection instaurée par le législateur en 2003 ne sera donc plus privilégié (rappr. P. Martin, Déclaration d’insaisissabilité et  liquidation judiciaire : Procédures 2010, étude 1, spéc. n°15).

Quid du droit des sociétés dans l’ordonnance ? L’article 100 de ladite ordonnance  a  modifié  le 7°  de  l’article 1844-7 du Code civil. La dissolution de la société n’interviendra qu’à la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif et non plus le jour du prononcé de la liquidation. Non dissoute par le jugement de liquidation judiciaire, la société pourra reprendre son activité postérieurement au prononcé de la clôture de la procédure alors même qu’auparavant cette société ne survivait pas à l’extinction du passif. Dès lors, le liquidateur judiciaire devra transmettre directement le boni au dirigeant de la société en raison de la clôture du  compte  bancaire intervenu le jour de la liquidation judiciaire. La demande de désignation d’un liquidateur amiable formulée habituellement dans la requête aux fins de clôture de la liquidation judiciaire pour extinction du passif deviendra rare. En effet, les associés seront vraisemblablement réticents à payer des honoraires d’un liquidateur amiable pour obtenir plus rapidement le versement de leur boni.

 

Qu’en est-il du droit  des sûretés ? Concernant les sûretés proprement  dites,  les  modifications sont de faible  importance. En premier  lieu, le texte du Il de l’article L. 641-13 du Code de commerce  a  uniquement  été réécrit. Les titulaires de sûretés mobilières spéciales assorties d’un droit de rétention et le gage sur matériel et outillage ne figurent plus à juste titre parmi le classement de l’article pré­ t cité. Ils continueront tout simplement d’échapper à la loi du .concours. En second lieu, il résulte de la nouvelle rédaction de l’article L. 611-10-2, alinéa l »‘ du Code de commerce relatif à la conciliation que les garants bénéficieront des délais de grâce obtenus  par  le débiteur  pendant  la recherche de l’accord sans que la saisine du juge soit nécessaire. Enfin, il est à noter que les dettes de remboursement envers les garants visés au 2° du 11 de l’article L. 643- 11 du Code de commerce ne pourront être effacées dans le cadre d’un rétablissement professionnel. Concernant les privilèges, les modifications sont plus no­ tables.  L’ordonnance  a  élargi le domaine  du privilège du new money. Désormais, l’article L. 61 1-11 du Code de commerce prévoit que l’apport en trésorerie ou la livraison de biens ou de services ne devra plus uniquement être consenti dans l’accord homologué; ils pourront bénéficier de ce privilège  s’ils ont été également accordés en cours de négociation. En outre, les créanciers bénéficiant de ce privilège ne seront soumis  aux délais et remises d’un plan de sauvegarde ou de redressement judiciaire que s’ils y ont consenti (C. com., art. L. 626 -20, /). Oui. Il suffit de s’attarder sur la nouvelle rédaction de  l’article L. 626-30-2 du Code de commerce. Désormais, les créanciers pourront présenter un projet de plan ; l’administrateur judiciaire devra faire un rapport sur ledit projet. Le débiteur et l’administrateur judiciaire ne seront donc plus « maîtres » des pro­ positions adressée s au tribunal. D’ailleurs, il appartiendra au tribunal de choisir le plan qui lui paraît le plus sérieux concernant le sauvetage de l’entreprise et des emplois tout en assurant le paiement des créanciers 01. en ce sens R. Damman et G. Podeur, Le rééquilibra ge des pouvoirs au profit des créanciers résultant de /’ordonnance du 12 mars2014 : O. 20 14, p. 752). Notons encore que l’article L. 622-22, alinéa 2 oblige désormais le débiteur à informer le créancier, au cours d’un procès, qu’une procédure est ouverte à son encontre, et ce dans un délai de 10 jours sous peine d’une possible interdiction de gérer. En pratique, et même si ce principe de loyauté est louable, une telle réactivité dans un aussi court délai reste illusoire …

Les droits du débiteur ont-ils pour autant été restreints ? Il n’en est rien. Le professeur P.-M. le Corre (op. cit., n° 27) a, à juste titre, souligné que le législateur a « recherché une plus grande humanité dans le traitement des procédures liquidatives » . En effet, les manifestations  sont  multiples.  A titre d’exemples, l’article L. 642-18 du Code de commerce a été modifié pour pouvoir faire bénéficier au débiteur de délais de grâce pour quitter l’immeuble constituant sa résidence principale ; les articles L. 641-9 et L. 643-11 dudit code ont également été réécrits pour limiter  la  portée du dessaisissement : seront exclus des réalisations d’actifs les biens échus sur succession après le prononcé de la liquidation judiciaire. L’ordonnance tire enfin les enseignements de l’intervention récente du Conseil constitutionnel : le tribunal ne pourra plus se saisir d’office pour ordonner un redressement ou une liquidation judiciaire ou une de­ mande d’extension (C. com., art. L. 631-3, L.631-3-1, L. 640-3 et L. 640-3- 1, L. 621-2).